Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les migrants

Témoignages à l’occasion de la journée mondiale du migrant et du réfugié 2018

Paroisse Bienheureux Marcel Callo – 11 janvier 2018 (église St Thomas)

Plusieurs de nos paroissiens de Sainte Anne-Saint Clair ont participé à la soirée de sensibilisation à l’accueil des migrants en janvier dernier. Nous y avons entendu le témoignage de Yannick et Mariannick. Puisque cette action se situe dans notre Zone Pastorale (Regroupement de paroisses dont nous faisons partie, voir ici), nous vous reproduisons ce témoignage ici. Les mentions faites des associations, de leur action et des liens inclus pour approfondir votre compréhension du sujet ne constituent pas un cautionnement de l’intégralité de leur activité. Ecoutons-les :

Introduction

Notre témoignage s’appuie sur les 4 verbes que le Pape François a choisis pour son message à l’occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2018. Ces 4 verbes sont fondés sur les principes de la doctrine de l’Eglise.

Bien entendu, il faut relativiser : notre expérience personnelle ne prétend pas être à la hauteur de ce que préconise le message pontifical (dans celui-ci, beaucoup d’éléments ne relèvent pas directement de notre responsabilité pour leur mise en œuvre).

Cependant, dans notre action près des migrants, nous essayons de prendre fidèlement notre part, en cohérence avec ces 4 verbes très justement rappelés.

Accueillir … nous rajoutons : « à plusieurs ».

Depuis presque 6 ans, nous sommes une équipe de bénévoles du Secours catholique de la Basse Loire Nord, qui accueillons avec bienveillance et empathie, les migrants « demandeurs d’asile » mis sur notre chemin.

Nous, c’est-à-dire au départ, 6 pour les initier au français chaque semaine. Afin d’accueillir la demande de 2 structures, nous avons organisé 2 groupes d’initiation : un, dans une salle paroissiale, pour les demandeurs d’asile envoyés par le CADA des 3 Rivières et un autre dans un hôtel de la zone Atlantis pour les demandeurs d’asile hébergés à l’hôtel. Nous avons fonctionné 2 années, expérimentant tant bien que mal les particularités de cet apprentissage à des personnes qui sont dans une incertitude profonde face à leur avenir.

Puis, notre équipe s’est étoffée. Nous avons accueilli la demande du partenaire CADA qui soulignait, à juste titre, un besoin complémentaire à l’initiation au français : essayer de trouver quelques occupations palliant l’absence d’activités, spécialement pour les hommes. Alors, en faisant appel à d’autres bénévoles, nous avons construit un projet : celui de proposer à tous des moments de convivialité, que nous faisons 2 fois par mois. Ces moments prennent différentes formes : visites de la ville, jeux ensemble, activité bois et activité couture, … Parallèlement à cela, une équipe de jeunes prenait les enfants des familles en charge chaque mois pour un après-midi de rencontre et de jeux. Aujourd’hui, nous sommes une équipe de 16 bénévoles avec leurs compétences et charismes différents.

Accueillir « à plusieurs », ça veut dire aussi coopérer avec des partenaires différents :

  • Nous avons une convention avec le CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile), ce qui permet de mieux connaitre les personnes qui nous sont confiées.
  • Nous entretenons aussi des relations avec les associations qui soutiennent les migrants dans leurs besoins fondamentaux (Secours populaire, Restos du Cœur). Ainsi, nous pouvons partager les frais nécessaires à l’obtention de leur titre de séjour : selon le titre de séjour obtenu, les taxes sont très chères, or beaucoup n’ont pas pu travailler (même s’ils avaient une autorisation de travail), alors, sortir au minimum 300 € ou 560 € de timbres fiscaux, par personne, c’est dur !
  • Nous avons contact également avec d’autres associations qui les soutiennent dans leurs démarches administratives (MRAP), avec d’autres structures qui sont des maillons dans leur parcours (CMS, écoles, dispositifs logement, santé, etc). Nous les accompagnons dans ces démarches, quand ils le souhaitent, d’une part pour aider à la compréhension, d’autre part pour leur permettre d’entrer dans les fonctionnements de notre société.

Accueillir « à plusieurs », c’est mieux et c’est un plus pour repérer et respecter les différences qui peuvent être fondamentales entre les « accueillis » et les « accueillants », entre les « accueillis » de cultures différentes. Cela permet de ne pas enfermer dans un seul regard et cela permet aussi de leur offrir plus d’ouverture. Ainsi, on essaie d’être plus respectueux envers leur personne, leur histoire, leur volonté propre, leur situation présente.

Pour ce faire, nous avons adopté un fonctionnement en « binôme » : 2 bénévoles accompagnent plus particulièrement 2 ou 3 personnes migrantes ou familles, ça veut dire entretenir plus de contacts, favoriser des liens en dehors des moments dédiés au français ou à la convivialité.

Enfin, régulièrement, nous avons des rencontres entre bénévoles pour nous informer sur l’évolution de leur situation, réfléchir et confronter nos expériences.

Jusqu’à maintenant, nous avons accueilli 61 personnes adultes, dont 20 familles. Cette année, 12 nationalités (Centrafrique, Guinée, Afghanistan, Iran, Irak, Kurdistan irakien, Syrie, Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, Daguestan, Tchétchénie).

Protéger.

La protection à leur égard passe par différentes « postures » qu’on essaie de mettre en œuvre dans diverses situations.

La posture de base, c’est travailler à une mise en confiance. C’est quelquefois long :

  • au départ, permettre de comprendre ce qu’on propose, des séances de français par ex (or d’autres en proposent aussi, alors où faut-il aller ???)
  • avoir une attitude de respect avec chacun sans qu’il se sente « dépendant », dans la délicatesse et sans faire d’intrusion, ex en faisant qu’ils prennent eux-mêmes l’orientation qu’on trouve bonne pour eux (une mise à l’abri au lieu d’une expulsion traumatisante)
  • les accueillir dans leur diversité « intellectuelle » (connaitre ce qu’ils ont fait antérieurement, si possible) et repérer ce qu’ils peuvent comprendre, ou s’appuyer sur des relais en qui ils ont confiance (ex des 4 afghans)
  • les faire communiquer sur leur situation administrative, pour mieux les aider en les mettant en relation avec des associations spécifiques, en prenant contact avec un avocat, s’ils le souhaitent ou le demandent.

Tout cela demande du temps et un cheminement particulier avec chacun.

L’autre posture de base, c’est travailler à cultiver avec eux l’espérance, à ne pas les mettre en difficulté, tout en jouant la carte « vérité ». D’où l’exigence pour nous de connaitre (autant qu’on le peut) le parcours qui les attend. Or, c’est un long chemin, parsemé d’embûches : quand ils arrivent en France, ils ne s’attendent pas à toute cette complexité à plein de niveaux. Ils ont tout quitté (famille, amis, situation professionnelle, maison, pays…). Ils ont quitté pour être protégés, pour échapper à beaucoup de malheurs que nous ne connaissons pas. Comme nous, ils ont des droits, une dignité. A nous de contribuer à leur protection.

Elle se traduit concrètement :

  • dans le quotidien, quand ils sont face à des choses qu’ils ne comprennent pas : une lettre reçue de la Préfecture, ou du Tribunal, avec des expressions qu’il faut relire 3 fois pour comprendre…, quand ils sont face à des personnes qui ne les considèrent pas vraiment comme interlocuteurs. On essaie alors d’être « médiation » entre eux et les interlocuteurs qu’ils rencontrent : demander de parler moins vite par ex, avec un langage simple, ensuite reprendre avec eux ce qui est dit (traduction par gestes ou schémas souvent).
  • dans des situations extrêmes.

Par ex, un secours d’urgence : pour de la nourriture quand les Restos sont fermés, pour des soins médicaux non remboursés par l’AME, pour pallier au non versement des prestations CAF qui tardent à venir alors qu’ils ont obtenu le statut de réfugié, etc.

Par ex, une « mise à l’abri » quand ils sont expulsés de l’hôtel qui les hébergeait – quand ils sont en logement « indu », c’est-à-dire que leur situation administrative exige qu’ils quittent le logement CADA, par ex. Ces situations critiques nous ont amenés à réfléchir ensemble pour voir la ou les solutions à envisager (contact avec des avocats pour référé, recherche de logement, accueil temporaire chez l’habitant…). Nous avons apporté des solutions en créant l’association Toit et Nous pour gérer la maison disponible d’un ancien presbytère, ayant le souhait de trouver d’autres logements disponibles (ce qui est très difficile).

Notre protection, c’est aussi avoir une certaine lucidité sur ce qui les attend, et donc, c’est avoir la connaissance (autant qu’on le peut) de ce qui va advenir dans leur parcours migratoire. Selon le statut obtenu par l’OFPRA/CNDA, ils seront réfugiés pour 10 ans ou en protection subsidiaire, ils seront déboutés du droit d’asile et donc, sans papiers. Ils pourront obtenir peut-être une carte temporaire de séjour d’un an, selon différents critères, ils auront le droit de travailler ou pas…

Nous essayons de continuer à les soutenir dans leurs démarches (logement, transport, Pôle emploi, …) quand ils ont reçu un titre de séjour et nous continuons aussi à les soutenir, même s’ils ont reçu l’ordre de quitter le territoire français (OQTF). Toujours en éclairant et respectant leur volonté propre. Pour tout cela, nécessité de se former et de s’informer.

Promouvoir.

C’est un aspect plus difficile à concrétiser immédiatement. Bien sûr, nous en avons le désir et la volonté, mais les barrières linguistiques et culturelles sont de véritables freins.

Comment susciter leurs attentes, leurs points de vue, leurs compétences, leurs désirs ? Nous avons vite été confrontés à ces questions, par ex pour organiser les temps de convivialité. Nous avons essayé qu’ils puissent comprendre ce que nous souhaitions et qu’ils puissent eux-mêmes exprimer leurs souhaits. Au début, ce fut difficile, nous avons tâtonné et progressivement nous avons avancé, mais ce n’est jamais gagné d’avance. Nous nous appuyons sur les uns et les autres et quelquefois, la communication passe à travers les langues multiples qu’ils pratiquent.

Leur aspiration principale est celle de travailler pour subvenir à leurs besoins (quand ils sont déboutés, de même quand ils sont en réexamen de leur demande, il n’y a plus d’ADA, aide financière modeste) et pour accéder à l’autonomie. Mais, même s’ils ont une autorisation de travail sur leur récépissé, ou leur titre de séjour, ça ne donne pas un emploi pour autant ! Imaginez toutes les embûches, la première et la principale est l’apprentissage et la pratique de la langue !

Promouvoir, c’est aussi prendre en compte la dimension religieuse de chacun. Respecter bien sûr, mais aussi y prendre intérêt, donc connaitre, pouvoir en parler quand ils le souhaitent. Beaucoup de ceux que nous avons connus sont musulmans (sunnite, chiite), alors nous avons essayé de connaitre davantage, mais aussi de percevoir comment la religion avait un impact sur eux, car ce n’est pas uniforme (comme chez nous), s’intéresser à chacun, respecter les temps de ramadan, par ex dans les moments de convivialité. Maintenant, nous recevons des personnes du Moyen-Orient, des chrétiens d’Orient ou des personnes convertis au christianisme, cela demande une autre attention dans la gestion des groupes (en français par ex, au moment des fêtes de Noël et fin d’année). Au fur et à mesure, nous sommes plus à l’aise avec ces questions, en s’informant, se parlant, en participant ensemble à des temps particuliers.

Intégrer.

Par tout ce qui vient d’être dit, nous pensons contribuer à leur intégration progressive dans la société française. Mais il ne s’agit pas de les assimiler à notre culture !

Dans ce domaine, il nous faire preuve d’imagination. Ce n’est pas parce qu’ils sont en France qu’ils doivent abandonner leur identité profonde. Sans doute, ça demande, de notre part, de se former aux pratiques interculturelles pour comprendre, échanger, continuer à rencontrer vraiment.

Il semble qu’il faudrait avancer en favorisant les rencontres avec d’autres français, en mettant en lien pour une intégration plus naturelle, quelque part à être des « relais » d’intégration. Saisir les occasions ou les provoquer pour dépasser l’entre soi (entre français, entre étrangers). C’est un long apprentissage !

Intégrer, c’est les aider à mieux vivre dans ce nouveau pays.

« Je pense particulièrement à Basam, syrien, arrivé en mars avec sa famille. La communication est très difficile. C’est une voisine qui nous appelle, elle se propose de servir d’interprète. Quelques visites nous permettent de savoir ce dont ils ont besoin, notamment apprendre le français pour la maman, mais avec une petite fille handicapée, elle ne peut suivre des cours à l’extérieur. Un bénévole de notre équipe se propose pour aller à domicile une fois par semaine. Cette maman a aussi besoin de souffler. Je leur parle de la possibilité de mettre les enfants quelques jours au Centre de loisirs pendant les vacances. Ils ont réfléchi et je suis allée avec le papa faire l’inscription à la mairie. Il ne voulait pas parler. Je l’ai encouragé à faire lui-même la demande en lui donnant la phrase à dire. Nous l’avions préparée et répétée plusieurs fois avant. J’étais à côté de lui et ça s’est bien passé. Pour les précisions, j’ai pris le relais. La personne qui nous a reçu s’est intéressée à lui et Basam est reparti avec le sourire. C’est un petit pas pour continuer et prendre confiance. »

Et quand quelques-uns, que nous avons connus et aimés, parviennent à vivre dans une relation vraiment réciproque avec nous, alors nous sommes heureux et leur disons « merci » pour tout ce qu’ils permettent dans nos existences.

Yannick Voisin et Mariannick Normand, Zone pastorale Nantes Ouest