L’attention aux autres est au cœur de l’annonce du Salut

© Anaïk SIMON

Chez l’évangéliste Luc, Jésus inaugure sa vie publique par une lecture du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté […] » (Lc 4, 18-19).

Jésus éprouve de l’intérêt et de la compassion pour chacun de ceux qui, souffrant physiquement et moralement, s’adresse à lui, par un geste, un appel, un regard.  Quelles que soient les préventions de son entourage, les dialogues qu’il engage bouleversent fondamentalement l’être « blessé » qui est comme sauvé par cet échange[1]. La parole s’accompagne souvent du toucher[2] et c’est une proximité confiante, presque tendre, qu’exprime l’individu abîmé qui discerne en Jésus une immense capacité d’attention et une puissance de salut[3]. En retour, Jésus se laisse toucher, touche à son tour et c’est en s’approchant de chacun qu’il le guérit. On pourrait aussi évoquer les regards de Jésus qui en déroutent plus d’un[4] ; il prend soin de chacun face à face.

Qu’on les lui amène à travers la foule ou qu’il se rende chez eux, Jésus prend soin d’êtres que la maladie, le handicap, l’exclusion ont isolés, coupés de la société, reclus dans leur lit. Quand il relève ceux qui sont couchés, il leur rend la possibilité de redevenir des acteurs de leur vie et de la société. L’action de Jésus ne se borne jamais à la guérison physique. Celle-ci n’a pas lieu sans que sa confiance n’ait permis à la femme ou à l’homme affaiblis de franchir tous les obstacles pour le rencontrer. En retour, le « miraculé » reconnu et relevé ne peut plus vivre comme avant : « Celui qui m’a rendu la santé, c’est lui qui m’a dit : « Prends ton grabat et marche »[5].  Il s’agit de vivre maintenant en fonction du don reçu.

La rencontre avec Jésus est une transformation. Combien de dialogues – guérisons se concluent sur un envoi, une mise en mouvement ? L’échange si personnel entre Jésus et la Samaritaine[6] ne cache rien de l’histoire bancale de cette femme, mais elle la transforme en force de vie. Quand elle arrive aux abords du puits avec ses certitudes limitées, elle est d’abord étonnée que cet homme lui parle comme à une personne normale ; au fur et à mesure qu’elle se convainc qu’il peut la guérir de sa souffrance, son esprit s’ouvre. Mais rien n’est joué avant que Jésus, subtilement, ne l’ait aidée à mettre elle-même des mots sur ce qui encombre sa vie. À cet instant seulement elle peut reconnaitre celui qui lui parle et qui lui permet de devenir elle-même. Cette reconnaissance mutuelle lui donne la force nécessaire pour « refaire sa vie », devenir disciple et en entraîner d’autres à sa suite.

C’est aussi l’attention personnelle que lui porte Jésus qui met Zachée en mouvement, pour un changement de vie radical au service de ceux qu’il a en partie spoliés[7].

Les récits de « guérison » qui annoncent la venue du Royaume parmi nous restaurent les personnes abîmées dans leur unité et les met en route à la suite du Christ.

Prendre soin les uns des autres nous amène à cheminer à travers les territoires des cabossés de l’existence, des exclus de toutes sortes.

Prendre le temps d’une rencontre vraie, exigeante, avec celui que je côtoie, c’est nous permettre à l’un et à l’autre de grandir en humanité.

Anne Lemoine


[1] Mt 8, 2-3. 5-9. 13 ; 15, 25-28 ; 20, 20-34 ; Lc 7, 48-50
[2] Mt 9, 20-21
[3] Mc 5, 28-29 ; 6, 56 ; Lc 7, 38
[4] Lc 19, 3-7
[5] Jn 5, 11
[6] Jn 4, 1-30
[7] Lc 19, 8-9