Extrait Guide des égarés / Jean d’Ormesson (Gallimard, 2016)

Dieu,

Personne n’a jamais rien su de Dieu, personne n’en saura jamais rien. Tout ce que nous pouvons faire c’est croire qu’il existe, d’une façon ou d’une autre. « Croire » est mot bien faible dont toute certitude et tout savoir sont exclus.« Espérer » est plus fort. En ce qui concerne ce Dieu inconnu dont nous ne pouvons rien savoir et dont il n’est pas permis de parler, croire se résume peut-être à espérer. Jésus, lui, a vécu parmi les hommes, dans l’espace et dans le temps, et chacun peut le connaître et l’aimer. J’aime et j’admire Jésus, ses paroles, son action. Et j’espère qu’il y a un Dieu.

Si exister signifie être entré dans ce monde passager et quadrillé que nous appelons réalité et qui n’est peut-être qu’un long rêve, une illusion continue et cohérente, Jésus existe. Dieu n’existe pas.

Il est plus proche d’une pensée sans limites, d’un esprit universel, d’une équation mathématique exhaustive et impossible que ces hommes et ces femmes auxquels il a permis d’exister et qui n’existent que par lui. Il n’existe pas ; il est. Et comme la justice, la beauté, la vérité, l’amour, il s’est incarné parmi les hommes.

De cette justice, de cette beauté, de cette vérité, de cet amour, nous ne connaissons que des reflets, des traces, des fragments. Ce qu’il y a de plus grand, de plus beau, de plus vrai dans notre monde imparfait et voué à disparaître, vient d’ailleurs de plus haut. Platon avec ses Idées, Saint Augustin, Descartes, Leibnitz, Kant, Kierkegaard, Bergson, Teilhard de Chardin, d’une certaine façon Heidegger, ne nous enseignent rien d’autre. C’est cette origine, dissimulée à notre pensée, que les philosophes appellent la transcendance. Disons-le sans fard. Ne tournons pas autour du pot. Je crois à la transcendance que nous avons le droit et l’habitude d’appeler Dieu et qui donne enfin un sens à l’univers et à notre vie.

Dieu est invraisemblable. Mais il n’est pas plus invraisemblable que cet univers qui nous paraît si évident et qui n’en finit pas de me remplir de stupeur et d’admiration. Tout est mystère autour de nous, à commencer par cet espace dont l’expansion se poursuit sous nos yeux et par ce temps dont nous ne savons rien. Avec sa rigueur et sa beauté, avec cet élan perpétuel vers quelque chose d’inconnu, avec notre passé qui, comme Dieu, est à la fois quelque part, et toujours dans l’absence, le monde n’est que mystère. Dieu aussi est un mystère. Un mystère à jamais. Un mystère qui ne passe pas.

Confondu, dans notre misère, à la fois avec ce que nous appelons le tout et avec ce que nous appelons le rien, Dieu est un mystère lumineux qui prend sur lui tous les mystères et toutes les souffrances des hommes pour les changer en espérance. Qu’il existe, comme on dit, ou qu’il n’existe pas, loin au-dessus – et pourtant tout proche – de chacun d’entre nous et d’un univers en sursis où ne règne rien d’autre, au loin, qu’une mort qui finira bien par détruire tout ce qui aura existé, Dieu, absent et présent, est notre unique espérance. Et, en vérité, dans la beauté, dans la joie, dans la justice, dans l’amour, la seule réalité.

Envoyé par Gaëlle