Témoignages croisés, Adrien, Marie-Thérèse et Gilles Priou

ⓒ Blandine Dahéron / ⓒ père Gilles / ⓒ Famille de Thoré

Ce temps « favorable » du confinement

par Marie-Thérèse Cornil

ⓒBlandine Dahéron

Pendant deux mois, nous avons vécu le temps difficile du confinement.

Difficile ? Pourquoi ? Car il y avait l’incertitude, la peur pour nous et nos proches ou plus largement pour tous ceux qui souffrent.
Cette période a pu aussi nous ouvrir le cœur. Déjà, en ouvrant notre fenêtre le soir à 20h pour participer, à notre mesure, à cet élan qui disait notre reconnaissance aux soignants. Ils étaient en première ligne pour la bataille contre le Covid, et avec eux, il y avait aussi tous les personnels de services divers, qui ont assuré la propreté, le lien social et tout ce qui vous vient à l’esprit et que vous pouvez énumérer en cherchant bien.

D’où viennent tous ces services indispensables, dans quelles conditions travaillent-ils ? Comment j’y participe ? Je paie les factures… et eux, comment sont-ils payés ? Ont-ils de quoi vivre ? Une pièce à donner à celui qui tend la main. Est-ce que je peux le regarder en face ?

J’ai tout ce qu’il me faut pour vivre à la maison… car j’ai une maison. Quelle chance de se trouver chez soi, avec nos meubles, nos souvenirs. Il y en a tant qui n’ont pas de toit et qui ne n’ont pas aussi avec qui parler, échanger dans notre langue et je me demandais « à qui vont-ils confier leur inquiétudes ? Quand cela prendra-t-il fin, quel sera leur avenir ? Leurs enfants, que deviennent-ils, et leurs parents restés au pays ? »

Pour nous, il y a le téléphone, heureusement. Combien de fois j’ai pu dire « Dieu merci », nous avons pu nous causer, nous dire que nous pensions bien à eux. Grâce à qui ? À tant de gens qui ont travaillé dès le début.

Il y a eu aussi l’appel des voisins : « On a pensé à toi : as-tu besoin de quelque chose ? On va chercher du pain… on va chez Intermarché (ou autre). »
C’était formidable cette attention des voisins, une fois, quatre personnes m’ont appelée le même jour.

Une de mes voisines travaille depuis le début de l’année et je ne la voyais plus. Je l’apercevais qui passait vite fait sur le trottoir. Mais pendant le confinement, on a eu le temps de bavarder, de prendre des nouvelles des enfants, des parents qui sont plus loin et que je connais un peu. Comme cela fait du bien d’avoir eu le temps de se parler.

Je pense aussi à cet appel : « On s’ennuie, tu ne crois pas ? » – « Ceux qui sont en prison pour de la drogue, ils voulaient juste avoir de quoi vivre. Ils ne pensaient pas que c’était criminel. Tu ne crois pas que ce sont ceux qui leur vendent, qui devraient y être ? Ils sont là et n’ont pas de visite, pour combien de temps ? Et leur famille… ? »

Il y a ces amis des « Goûters Partagés » à Sainte-Anne. Chacun demandait des nouvelles de F…, de N. « Je pense bien à lui… à elle, qui est seule. Ce ne doit pas être facile… » Et la solidarité circule. Le même jour, Gaëlle me dit que le « Pôle de Solidarité » s’est réuni pour organiser un service. Des personnes sont volontaires pour faire les courses de ceux qui ne peuvent pas en ce moment. J’ai bénéficié du service et je les en remercie beaucoup.

Un autre service : le bulletin paroissial ne paraît plus sous forme papier, mais on peut le recevoir sur ordinateur. Il permet de garder le lien. Je me demande : « Un bulletin papier transmet-il le virus ? On reçoit bien le journal ?? » Certains témoignages m’ont fait réfléchir et j’en remercie les auteurs.
Mais au fond, je regrette le bulletin papier qui permettait de garder le lien avec les aînés. En allant le leur porter, on parlait de l’état-civil. Un tel est décédé… on l’a bien connu et les souvenirs reviennent… « Revenez me voir quand vous voudrez ».

Et puis, il y a S., nouvelle dans le quartier. Son mari est décédé alors qu’elle venait d’arriver. L’église Sainte-Anne était en travaux. Alors la sépulture a eu lieu à Saint-Clair…
J’aimerais bien me rendre à l’église Sainte-Anne, mais au moment où j’écris ce témoignage, elle est fermée, comme d’autres. Le bulletin donne les heures d’ouverture, mais quand on marche peu… Je repense à ces paroles d’un voisin : « Le bulletin ça m’intéresse, si tu peux me le donner… ça crée des liens même pour ceux qui ne vont pas à l’église. » Il y a tous les autres, les habitués.

Je trouve le temps long même si nous avons la messe à la télévision Nous avons eu notre dose de ces messes pendant le confinement ! Gilles* m’a appelé dès les premiers jours et je l’ai informé que l’on pouvait voir la messe tous les soirs sur KTO. [*note : le père Gilles Priou]

Nous avions aussi le chapelet de Lourdes et les messes retransmises sur radio Fidélité. Ceux qui voulaient se mettre en lien avec d’autres croyants avaient beaucoup de propositions ; j’ai beaucoup aimé écouter les émissions de radio protestante sur Fidélité par exemple. Mais la rencontre avec les autres m’a manqué.

Il y a F. qui me donne une recette pour passer le temps et rire avec ce conseil : « Écoute les émissions sur 88.45 ! » Il y a P. dont l’amie habite aux Dervallières. Elle est malade, son ami est hospitalisé et ses enfants dans l’appartement… Et tous les malades à qui on ne peut pas rendre visite en clinique, en Ehpad… Heureusement, il y a le téléphone. Merci à ceux qui l’ont inventé, qui nous l’ont amené, qui le perfectionnent et tous les autres outils de communication que je ne connais pas. Merci à tous.

Comment ai-je nourri ma vie intérieure ? (Rires)
Relisez ce texte ! Ma foi se vit dans la relation aux autres ! Le soir, quand je repense à mes journées, je revois toutes les personnes que j’ai croisées et je confie toute la richesse de ce que j’ai vécu !

Marie -Thérèse Cornil

Propos recueillis par Marie-Dominique Fenal et Blandine Dahéron

« Un moment inédit et intense en famille »

par Adrien de Thoré

ⓒFamille de Thoré

 

Le 16 mars, alors que le confinement se fait pressentir, l’idée de passer mes journées en télétravail à la maison avec mon épouse me ravit. Travailler côte-à-côte, déjeuner ensemble, avoir une pause à la maison entre midi et deux… mais ce doux rêve ne dure que quelques minutes, jusqu’au moment où un éclair de lucidité me rappelle que la crèche et l’école vont être également fermées … quid de la vie à quatre en vase clos ? Habitué dans mon enfance à vivre des croisières en famille confinés à sept dans un bateau… une nouvelle expérience m’est offerte !!

Nous avons donc passé le confinement dans notre maison à Nantes, avec mon épouse Marion et nos deux enfants de 2 et 4 ans, Juliette et Thibault.

Pour gérer le télétravail tout en prenant soin de nos jeunes enfants, le premier défi a été de trouver une organisation permettant à la fois de répondre aux attentes de nos employeurs et d’épargner les enfants, dans cette situation déstabilisante pour eux.

Nous avons pour habitude de sans cesse prévoir des activités et des déplacements … il a fallu s’adapter ! Bonne nouvelle : à nous les petits déjeuners sereins, sans ressentir le besoin de presser les enfants pour partir à l’école ou la crèche ! Je rends grâce pour les moments de jeux avec nos enfants, leur capacité à s’adapter à cette situation et à leurs rires communicatifs. Ce confinement a renforcé nos liens, entre parents et enfants, mais également nos liens de couple.

Pendant les premiers jours, les enfants étaient très heureux d’avoir du temps à la maison pour jouer. Cependant, plus les jours passaient, moins ils ne comprenaient, ni ne toléraient, de voir leurs parents à proximité, sans être disponibles pour s’occuper d’eux. La frustration des enfants a sans doute été ce qui a été le plus compliqué à gérer et à vivre.

Nous avons essayé d’ajuster notre quotidien, afin de consacrer davantage de temps aux enfants. Il y a eu des colères, des présentations de nos enfants à nos collègues lors des réunions en visio, quelques disputes vite oubliées entre frère et sœur et quelques soirées passées à travailler !

La situation totalement nouvelle que nous venons de vivre a profondément bouleversé toutes nos habitudes sociales, familiales et spirituelles. Nous avons mis un point d’honneur à prendre des nouvelles régulières de nos proches. Nous avons appris à utiliser de nouveaux moyens de communication, pour que les grands-parents racontent des histoires à distance, situation totalement inédite !

Notre pratique de la foi s’en est trouvée changée. Le Carême puis les fêtes de Pâques furent un bon fil conducteur. Néanmoins, l’absence de messe m’a fait prendre conscience à quel point j’avais besoin de la communauté chrétienne pour nourrir ma vie spirituelle.

De toute cette période, malgré l’inquiétude liée à la pandémie, nous retiendrons un moment inédit et intense en famille, une expérience unique… (Espérons !)

Adrien de Thoré

Confiné, mais pas solitaire !

par le père Gilles Priou

Plusieurs paroissiens se sont inquiétés : comment, vous les prêtres, avez-vous vécu ces deux mois de confinement ? Le père Georges s’est tenu sagement dans son appartement, près du Rond-Point de Paris. Quant à moi, je suis resté confiné dans le presbytère de Saint Clair où je dispose d’un bel espace partagé avec le père Albert. Nous nous sommes donc retrouvés pour les repas et la prière quotidienne. Cette vie commune a été riche d’échanges et marquée par un très fort soutien mutuel.

Une autre manière de vivre notre ministère de prêtre.

Le plus marquant pour tous les paroissiens a sûrement été l’interruption des messes dominicales.
La vie paroissiale a été bien ralentie mais elle ne s’est pas totalement arrêtée. Elle s’est réalisée autrement. Nous sommes admiratifs car beaucoup d’initiatives ont été prises dans les familles ou entre voisins pour prier, partager, s’entraider. De leur côté, les services de la paroisse ont bien fonctionné malgré tout : par exemple, le suivi de la catéchèse et la préparation des baptêmes ont été assurés à distance. Une lettre paroissiale a créée pour la circonstance. L’Equipe d’animation paroissiale et le Conseil Economique avec Albert n’ont pas chômé. Le Pôle de Solidarité a développé de nouvelles initiatives en espérant n’oublier personne…

Notre rôle à nous, les prêtres, a été modifié. Nous avons beaucoup utilisé le téléphone et la messagerie électronique. Et cela a fonctionné dans les deux sens : de nous à vous et de vous à nous. Nous avons pu garder contact, prendre des nouvelles, nous soutenir les uns les autres et nous encourager. Dans tous ces échanges, nous avons pu ressentir la qualité et la profondeur des liens qui nous unissent. Parfois il nous arrive d’entendre ces mots : « Vous nous manquez !». Nous savons maintenant que c’est plus qu’une jolie formule ! En retrouvant la vie normale, puissions-nous ne pas l’oublier et même nous rappeler qu’il ne peut pas y avoir de prêtres sans paroissiens, pas plus que de paroissiens sans prêtres !

Des moments plus difficiles.

Nous avons eu à vivre une Semaine Sainte et une célébration de Pâques incroyables ! Qui aurait pu imaginer cela ?
Au fil des semaines, nous avons eu à prendre des décisions difficiles : d’abord différer le baptême des adultes, Richard et Roselyne, prévus à Pâques. Ensuite reporter les baptêmes des petits enfants et les mariages, retarder la célébration des premières communions. Actuellement, un nouveau calendrier se met progressivement en place. Que de souplesse et de bonne volonté il faut à chacun pour y arriver !

Période très difficile aussi dans la paroisse, pour les équipes d’aumônerie des Ehpad. Certaines résidences de personnes âgées ont été très éprouvées par le covid-19. Très tôt, les règles du confinement ont coupé les bénévoles de tout contact direct avec les résidents. Nous rêvons que nos équipes s’enrichissent de nouveaux bénévoles pour reprendre ce beau service d’aumônerie. Au passage, nous disons bravo aux enfants qui ont fait parvenir des dessins aux résidences de personnes âgées.

Les seules cérémonies religieuses que nous avons pu assurer ont été les obsèques. Quelques fois nous nous sommes retrouvés pour un temps de prière au cimetière, mais le plus souvent à l’église avec quelques proches. La plupart des familles n’ont donc pas pu marquer leur deuil comme elles l’auraient souhaité, Nous prévoyons de réserver une date spéciale de célébration pour leur témoigner que la communauté paroissiale reste proche d’elles et les entourer de sa prière.

Le retour à la vie normale.

Comme vous, j’ai guetté les informations, Nous avons attendu la réouverture des églises. Pour notre paroisse ce sera chose faite au cours du week-end de la Pentecôte, avec quelques précautions et des règles à respecter quand même !

Retrouver le chemin de nos églises, c’est une part de notre retour à « la vie normale» . Mais comme beaucoup l’ont déjà écrit ou dit, je souhaite que ce retour, nous le fassions sans oublier les bénéfices ou les acquis de cette période. Car même une période aussi éprouvante nous aura fait découvrir des « cadeaux cachés ».

Peut-être ne revenons-nous pas tout à fait comme avant ? Qu’avons-nous donc appris ou découvert au fil de ces semaines ? Pour ma part, je relève rapidement quelques points. Vous pourrez poursuivre votre propre énumération :

  • après avoir été privés de l’eucharistie paroissiale, nous serons plus conscients de la chance qui est la nôtre de célébrer habituellement sans avoir à parcourir trop de kilomètres !
  • les liens communautaires nous ont tellement manqué. Nous aurons encore plus de goût à nous connaître et nous parler, entre personnes de générations ou d’horizons différents.
  • après avoir développé tant d’initiatives, nous n’attendrons plus que tout vienne d’en haut, Et nous serons plus réceptifs aux appels à partager les responsabilités dans la paroisse.
  • si la messe du dimanche nous a manqué, notre vie chrétienne ne tenait pas qu’à cela ! L’évangile nous donnait rendez-vous dans le quotidien de nos vies professionnelles, familiales et associatives … Jamais l’une sans l’autre, même en dehors du confinement!

La liste n’est pas close. Poursuivez … Le diocèse nous y encourage d’ailleurs et nous propose une grille de relecture « après la crise du covid-19 ». Elle est dès maintenant à la disposition de tous ceux qui le souhaitent.

Gilles Priou